New York, le 2 juin 2008—Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a appelé aujourd’hui le Cameroun à ouvrir une enquête approfondie et transparente sur une échauffourée qui s’est produite vendredi dernier entre des membres de l’équipe de football du pays et des journalistes suite à un point de presse d’avant match. L’attaquant vedette camerounais, Samuel Eto’o, aurait agressé un journaliste au cours de l’incident, selon des journalistes locaux et des médias.
Philippe Boney, un journaliste de la radio privée Tiéméni Siantou, a dit qu’il a eu une fracture du bras gauche au cours de l’altercation de vendredi dernier et qu’il est en congé de maladie pour six semaines. S’adressant au CPJ aujourd’hui depuis son domicile situé dans la capitale camerounaise, Yaoundé, M. Boney a dit qu’il souffre encore de douleurs au niveau des bras et des dents. Il a ainsi indiqué qu’il a déposé une plainte auprès de la police contre Eto’o, qui est également une vedette du club espagnol de FC Barcelone.
M. Boney a affirmé qu’Eto’o lui a donné un coup de tête et que les gardes du corps l’ont brutalisé après qu’il a refusé d’engager une conversation avec le joueur qui le taquinait pour avoir boycotté la conférence de presse d’avant match qu’a tenu l’équipe camerounaise vendredi après-midi à l’Hôtel Hilton de Yaoundé. Une cinquantaine de journalistes ont quitté précipitamment cette conférence de presse, qui regroupait les joueurs et les entraîneurs du Cameroun avant le match éliminatoire de la coupe d’Afrique des Nations et du mondial de 2010 contre le Cap-Vert, en guise de protestation soi-disant contre le comportement méprisant de l’équipe nationale envers la presse camerounaise, selon le journaliste de Mutations, Steve Djouguela, qui a initié ce mouvement de protestation. Eto’o n’a pas publiquement fait de commentaires sur l’altercation depuis qu’elle a été rapportée.
Quatre journalistes témoins de la scène ont déclaré au CPJ qu’ils ont vu l’entraineur des gardiens de but camerounais, Thomas Nkono, saisir les téléphones mobiles des journalistes qui tentaient de prendre des images de l’accrochage. Le gardien de but camerounais, Carlos Kameni, aurait lui arraché une caméra de télévision de Marie Solange Mbarga, qui filmait la bagarre au nom de la chaîne privée Spectrum TV, selon ces journalistes. Mme Mbarga a déclaré au CPJ qu’elle ne sait toujours pas où se trouve son appareil. La caméra d’une autre chaîne de télévision privée, New TV, aurait aussi été saisie et retournée le même jour, mais sans images, selon la presse sur place.
Dans un entretien avec le CPJ aujourd’hui, Jean-Jacques Mouandjo, un porte-parole de la fédération camerounaise de football, a cité un communiqué de presse diffusé à la radio nationale samedi dernier dans lequel la fédération a déploré l’incident et a invité tous les acteurs concernés au calme. Il a affirmé qu’ il y a eu des informations inexactes rapportées par certains médias sur cet incident. La hargne d’Eto, selon lui, aurait été provoquée par un journaliste non identifié qui l’aurait traité d’«analphabète» face aux propos injurieux du buteur à l’endroit des journalistes, a-t-il déclaré.
Dans un entretien avec le CPJ, Pascal Fouda, un porte-parole du ministère camerounais des Sports et de l’Education Physique, a déclaré que le ministre, Augustin Edjoa, «a déploré ces incidents malheureux et a sévèrement condamné leurs auteurs». M. Edjoa a écrit à la fédération camerounaise de football pour demander l’ouverture d’une enquête formelle sur l’affaire, a t-il ajouté.
Gustave Samnick, le président de l’association des journalistes sportifs du Cameroun, a qualifié l’incident d’«agression barbare contre un journaliste» dans un entretien avec le CPJ et a indiqué qu’il était ouvert a toute concertation avec tous les acteurs concernés.
Cet incident est survenu en marge d’une période de répression de la presse indépendante dans le pays. Trois chaînes de radio et de télévision privées restent fermées depuis mars dernier pour leur couverture libre des troubles qui ont déchiré le Cameroun suite à une hausse du coût de la vie et à la réforme constitutionnelle impopulaire du président camerounais, Paul Biya, pour briguer un mandat présidentiel supplémentaire.
«La presse camerounaise a été suffisamment persécutée ces derniers temps sans devoir à subir ce type de brutalité», a déclaré le directeur de la section Afrique du CPJ, Tom Rhodes. «Les vedettes du sport ne sont pas au-dessus de la loi. Le CPJ appelle les autorités à mener une enquête approfondie, à obliger ceux qui sont responsables à rendre des comptes en vertu de la loi, et à s’assurer que tous les appareils des journalistes soient rendus», a-t-il martelé.