Des journalistes burkinabés menacés de mort par courriel

 Le 17 février 2009

S.E. Blaise Compaoré

Président de la République du Burkina Faso

c/o Ambassade de la République du Burkina Faso aux Etats-Unis d’Amérique

2340 Massachusetts Avenue, NW

Washington, D.C. 20008

Monsieur le président,

Nous vous écrivons pour exprimer notre préoccupation au sujet d’une série de menaces de mort par courriel contre la presse indépendante de votre pays. Ces menaces ont tous invoqué le spectre d’assassinats de membres de la presse en faisant référence au meurtre non élucidé du journaliste d’investigation Norbert Zongo en 1998. Nous vous demandons de veiller à ce que votre gouvernement mène une enquête approfondie sur ces menaces et qu’il protège le bien-être de tous les journalistes.

Depuis 2007, le CPJ a documenté trois cas dans lesquels des individus non identifiés ont menacé, via des courriels anonymes, de tuer des journalistes couvrant des sujets nationaux sensibles.

Tout récemment, le CPJ a obtenu une copie d’un courriel titré en objet « On va vous zigouyer », qui a été envoyé le 20 janvier dernier aux journalistes du mensuel indépendant Le Reporter. Ces menaces faisaient suite à la publication par Le Reporter d’un article citant les noms de cinq personnalités de l’Etat burkinabé qui auraient reçu des prêts illégaux de la Caisse nationale de sécurité sociale. Au moins deux de ces personnalités ont nié ces allégations, selon des journalistes locaux. L’article en question s’est basé sur un rapport de la Cour des comptes qui avait divulgué ces allégations sans cependant mentionner les noms des parties impliquées dans cette affaire, selon des médias.

L’expéditeur de ce courriel, un certain « Compaoré Issouffou Yandé », a menacé de tuer les journalistes du Reporter « un à un » comme M. Zongo, qui a été brutalement assassiné alors qu’il enquêtait sur le meurtre d’un chauffeur de la présidence burkinabée. Le courriel contenait aussi des menaces contre Newton Ahmed Barry, le rédacteur en chef du bimensuel L’événement, connu pour son ton critique à l’égard du gouvernement. M. Barry a déclaré au CPJ qu’il a reçu le même courriel le même jour venant de la même adresse, c’est a dire [email protected]. Suite à ces menaces, Le Reporter et M. Barry ont porté plainte à la police, selon des journalistes locaux.

L’expéditeur avait également revendiqué l’incendie du véhicule de Karim Sama, un animateur de la radio privée, Ouaga FM, connu pour son activisme pour la justice dans le meurtre de M. Zongo. La BMW blanche de M. Sama a été incendiée le 28 septembre 2007 près des studios de la station, selon la Fondation des médias de l’Afrique de l’Ouest. Cet attentat, qui rappelait l’incendie de la voiture de M. Zongo par ses assassins, avait obligé M. Sama à cesser la diffusion de son émission musicale jusqu’en mai 2008. Avant cet incident, M. Sama avait déclaré avoir reçu des menaces par courriel avertissant qu’ « il serait abattu » pour avoir critiqué la politique de votre gouvernement. Il aurait aussi reçu une enveloppe blanche sur laquelle le mot « Mort » était inscrit en encre rouge.

S’adressant au CPJ la semaine dernière, le porte-parole du ministère burkinabé de la Sécurité, Allassane Neya, a dit que le gouvernement burkinabé enquêtait sur les menaces contre Le Reporter et qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux plaintes. Il a ainsi invité les journalistes à présenter des indices sur l’affaire en question.

Par ailleurs, le secrétaire général du Conseil supérieur de la communication du Burkina Faso, Etienne Songre Sawadogo, a déclaré que cet organe officiel de régulation des médias burkinabés enquêtait aussi sur cette affaire. « Ce sont des menaces de mort que nous ne pouvons pas prendre à la légère », a dit M. Sawadogo au CPJ. Le Conseil publiera un rapport après l’audition des journalistes, a-t-il ajouté.

Toutefois, malgré ces assurances, les enquêtes officielles sur les menaces contre M. Sama sont encore au point mort. Malgré l’arrestation d’une personne pour l’incendie criminel du véhicule de M. Sama, le suspect en question n’a pas été formellement inculpé, selon des journalistes locaux. De plus, en dépit du fait qu’un juge d’instruction ait été désigné pour enquêter sur les menaces par courriel contre lui, il n’y a pas eu d’arrestation ni de suspects identifiés, selon les mêmes sources. Pourtant, Yahoo France, le fournisseur de services Internet qui a été utilisé pour envoyer les menaces, a dit au CPJ qu’il pourrait, à la demande de la police, identifier l’ordinateur qui a envoyé les courriels.

Monsieur le président, ces menaces, visant à pousser la presse à l’autocensure par l’intimidation, créent un climat de peur pour les médias de votre pays. Nous vous appelons donc à user de votre influence pour veiller à ce que votre  gouvernement tienne ses engagements publics de mener des enquêtes approfondies et transparentes et d’appréhender les responsables. Faillir à ces engagements ne ferait que renforcer le climat d’impunité pour les ennemis de la presse qui sont déjà encouragés par le fait que les assassins de M. Zongo soient toujours en toute liberté, dix ans après son assassinat.

Veuillez agréer, Monsieur le président, l’expression de nos sentiments distingués.

 

Joël Simon

Directeur exécutif