Attaques contre la presse en 2008: Ouganda

Les forces de sécurité gouvernementales ont intimidé et harcelé les journalistes critiquant la gestion du gouvernement, notamment les commentateurs politiques animant les nombreux et populaires talk shows radiophoniques. Les lois sur la diffamation et sur la sédition ont été les armes principales de l’offensive juridique du gouvernement contre la presse, bien qu’une affaire pendante devant la Cour suprême laisse un espoir que ces textes soient déclarés anticonstitutionnels.

La loi antiterroriste de 2002, adoptée après les attentats du 11 Septembre aux Etats-Unis, a rendu passible de poursuites pénales toute information qui « pourrait promouvoir le terrorisme » et fixé des peines de prison pouvant aller jusqu’à dix ans. Selon cette loi, les journalistes sont contraints de révéler leurs sources à la justice, et la police n’a pas besoin de délivrer un mandat pour saisir du matériel journalistique. De fait, la loi a empêché les journalistes « d’organiser des entretiens avec des gens que le gouvernement considère comme des terroristes – une activité essentielle dans la couverture journalistique de beaucoup de conflits à l’intérieur de l’Etat », explique Andrew Mwenda, journaliste chevronné, fondateur du bimensuel privé The Independent et lauréat du Prix de la liberté de la presse du CPJ en 2008. 

Des dispositions du code pénal formulées en termes vagues ont fourni au gouvernement d’autres moyens pour intimider les journalistes. En 2002, Mwenda et l’Institut sur les médias d’Afrique de l’Est ont contesté le caractère constitutionnel de la loi, plaidant que les dispositions du code pénal sur la sédition, le sectarisme, la diffamation pénale vont à l’encontre de l’article 29 de la Constitution ougandaise, qui garantit la libre expression et la liberté de la presse. Bien que cette requête soit toujours pendante, elle s’est avérée utile aux journalistes tout au long de l’année 2008.

Dans plusieurs affaires, les juges ont sursis à statuer sur la poursuite de journalistes sous le coup de cette loi, en attendant qu’une décision soit rendue sur sa constitutionnalité. Dans une affaire très couverte impliquant l’inspectrice générale du gouvernement, la juge Faith Mwonda, celle-ci a déposé une plainte en diffamation contre quatre journalistes du Daily Monitor après qu’ils se sont interrogés sur son salaire. En février, la cour a sursis à statuer jusqu’à la décision de la Cour suprême.

Les journalistes ont fait de cette réforme une affaire publique. « A travers l’usage de lois aussi archaïques et répressives, le pouvoir exécutif a souvent foulé aux pieds les droits des journalistes », a écrit l’Association de la presse parlementaire ougandaise dans un communiqué publié le 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse. « Même si beaucoup d’affaires ont été tranchées en notre faveur, le résultat des interrogatoires de police et des détentions opérées à cause d’articles que nous avons publiés a été l’autocensure, un crime plus grave encore. »

Le président Yoweri Museveni et son parti du Mouvement de la résistance nationale ont adopté une attitude intransigeante vis-à-vis de la presse. Museveni, qui devrait se présenter à un septième mandat en 2011, a fait face à de plus en plus de critiques sur la longueur de son règne. « Un journal n’a pas le droit d’abîmer notre avenir », a-t-il déclaré dans son discours national télévisé à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire, en juin. « On publie une fausse histoire et, immédiatement, elle se retrouve sur Internet et partout à travers le monde. On n’a pas ce droit. » Avec treize agences de renseignements sous sa coupe, son gouvernement entend user de ses moyens de pression.

En avril, le commandement des renseignements militaires a fait une descente au domicile de Mwenda et dans les locaux de The Independent, saisissant des documents, des ordinateurs et des dizaines de disquettes. Les agents ont détenu Mwenda, le rédacteur en chef Odobo Bichachi et le reporter John Njoroge après avoir trouvé « des matériaux séditieux », selon les déclarations de la porte-parole Judith Nabakooba au CPJ. Les journalistes ont été libérés sous caution. Fin 2008, aucune inculpation n’avait eu lieu. Les agents ont lié ces arrestations à deux articles publiés en avril qui étaient critiques envers l’armée ougandaise, selon l’avocat du journal, Bob Kasango. En mai, l’affaire a été ajournée jusqu’à la résolution du point de droit constitutionnel, selon le Syndicat des journalistes ougandais.

Le paysage médiatique ougandais est varié. Une chaîne de télévision d’Etat et une poignée de stations privées atteignent les quelque 20 % de la population ayant la télévision, selon Internews, organisation faisant de la formation pour les médias. Deux importants quotidiens en langue anglaise, le Daily Monitor (privé) et le New Vision (propriété de l’Etat) et quatre journaux en langues locales dominent le marché. Deux journaux indépendants, The Weekly Observer et The Independent, ont percé en tant que publications au ton libre.

La radio demeure cependant le média le plus populaire. Plus de 90 stations de radio existent à travers le pays, bien que seules la Société de diffusion ougandaise (publique) et Star FM (privée) aient une diffusion nationale. La plupart des radios FM privées sont détenues par des partisans du gouvernement ou des personnes affiliées à celui-ci, d’après une étude de l’Institut sur les médias en Afrique de l’Est en 2008.

Malgré cela, les représentants de l’Etat se sont montrés sensibles aux commentaires politiques dans les talk shows radiophoniques. En octobre, Ibrahim Nganda, du Weekly Observer, a encouru une peine potentielle de huit ans de prison pour des propos tenus dans l’émission « Mambo Bado », sur une radio locale. Selon Nganda, il avait critiqué la réticence du gouvernement à assurer la sécurité lors du voyage d’un chef traditionnel du royaume du Buganda. A cause de ce commentaire, il a été poursuivi pour sectarisme et incitation à la violence. La police l’a aussi interrogé pour ses propos dans le « Capital Gang Show », où il avait demandé pourquoi les agents de la sécurité sont habituellement originaires de la même région que le Président.

En octobre également, le commentateur Geoffrey Ssebagala a été menacé et rossé par des hommes non identifiés peu après avoir commenté sur un talk show en direct, sur Metro FM, l’exercice présumé de la torture dans les centres de détention de l’armée. Ssebagala, coordinateur du Réseau des droits de l’homme pour les journalistes, a brièvement quitté le pays après l’agression.

« Les gens disent beaucoup de bêtises sur ces radios », a dit Museveni lors d’une apparition publique en juillet rapportée par le Daily Monitor. « Ils sont très malveillants et ceci est inacceptable. (…) On les fera cesser. »

Par deux fois, en janvier et en août, la police a interrogé des journalistes travaillant pour Central Broadcasting Service, une radio communautaire possédée par le royaume du Buganda, au centre du pays. Ce royaume, constitué autour d’une communauté ethnique, s’est trouvé entraîné dans une querelle foncière avec le gouvernement qui est devenue un sujet régulier de discussion sur les radios.

Les techniques d’intimidation utilisées par le pouvoir ont suscité l’autocensure au sein de beaucoup de radios rurales, selon Rachel Mutana, rédactrice en chef du Réseau radiophonique d’Ouganda, un groupe de radios communautaires. « Dans de nombreuses stations, il existe un sentiment d’impuissance », dit-elle, « une radio [qui] opère avec 100 ou 200 dollars par mois ne songe même pas à prendre un avocat ; alors, quand elle voit un géant comme le Monitor être harcelé par l’Etat, elle tremble de peur. »

Life FM, une station basée dans la ville occidentale de Fort Portal, n’a pas tremblé, elle. A partir de début janvier et pendant trois mois, les autorités ont bloqué la diffusion des deux programmes politiques de la station, « Tweraneho » (Battons-nous pour nous-mêmes) et « Ensonga Ha Nsonga » (De raison en raison). Le commandant régional de la police, Martin Abil, a aussi donné l’ordre d’incarcérer le modérateur et cinq invités pendant deux jours, a dit au CPJ le directeur de la station Patrick Nyakahuma. La police a affirmé que les émissions encourageaient la violence contre un parlementaire du coin, selon l’avocat de la défense Musana Johnson. La station a porté cette affaire devant les tribunaux et a obtenu gain de cause, en mars, quand un juge a conclu que la police avait agi en dehors de la loi sur les médias et de la Constitution.

En juillet, des membres présumés des forces de sécurité ont fait irruption dans les locaux du quotidien populaire Red Pepper après que celui-ci ait publié une série d’articles sensibles sur les renseignements militaires, selon le directeur de la rédaction, Arinaitwe Rugyendo. Au moins dix hommes armés de mitraillettes AK-47 ont investi les bureaux du journal et mis le feu au générateur et à la machine à imprimer, a raconté Rugyendo. Le système de vidéo de surveillance montre que les véhicules utilisés et les habits des agresseurs sont pareils à ceux des forces de sécurité du gouvernement. Le ministre de l’Information Kirunda Kivenjinja a déclaré au CPJ que toutes sortes de gens pourraient avoir mené l’attaque car le journal n’est « pas professionnel » et « marche sur les pieds de beaucoup de monde ».


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