Une chaîne de télévision béninoise censurée sous la pression du président

Abuja, le 7 décembre 2012 – Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) condamne la censure de la chaîne de télévision privée béninoise Canal 3 ainsi que les poursuites en diffamation de sa directrice pour des reportages sur une affaire de corruption impliquant des membres du cabinet du président Boni Yayi, qui semble avoir fait pression sur l’organe de régulation des médias pour sanctionner cette chaîne.

Le 20 novembre dernier, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) du Bénin, a suspendu pour trois mois l’émission-débat dominicale Sous L’Arbre à Palabres de Canal 3, selon des journalistes locaux et des médias. La HAAC  a aussi suspendu pour deux semaines un forum de discussion sur Actu Matin, une émission quotidienne d’information, selon les mêmes sources.

Ces suspensions sont intervenues après que le président Boni Yayi, dans une lettre  adressée au président de la HAAC en date du 19 septembre, a demandé des sanctions contre Canal 3, comparant cette chaîne à la Radio-Télévision Libre des Mille Collines, une station tristement célèbre pour son rôle dans le génocide de 1994 au Rwanda. Dans la lettre, dont le CPJ a obtenu une copie, M. Yayi a accusé Canal 3 de porter atteinte à la cohésion nationale, mais n’as pas cité de propos qui attestent son affirmation.

M. Yayi a évoqué l’édition du 16 septembre de Sous L’Arbre Palabres, déclarant que les animateurs de l’émission ont fait des déclarations « basées sur des informations sans preuves » concernant une présumée affaire de corruption dans laquelle des membres de son cabinet ont été accusés d’avoir reçus des pots de vin d’une entreprise privée dans le cadre de la construction d’un port sec dans la ville méridionale de Tori-Bossito. Au cours des derniers mois, M. Yayi a limogé plusieurs hauts conseillers et fonctionnaires mis en cause dans ce scandale, selon des médias.

Dans une interview avec le CPJ, le vice-président de la HAAC, Edouad Loko a déclaré que cette émission a été tendancieuse et n’a pas présenté d’opinions divergentes sur le présumé scandale.

M. Yayi a accusé Actu Matin de « véhiculer des informations de nature à menacer  l’ordre public à, travers des propos haineux, tendancieux et séditieux visant à  compromettre  l’unité et la cohésion nationale», mais il n’a pas fourni de détails.

Dans sa lettre, le président a également accusé Canal 3 de « troubler l’ordre public » pour la diffusion le 18 septembre dernier d’une conférence de presse de Me Lionel Agbo, son ancien conseiller et porte-parole, au cours de laquelle l’avocat a critiqué la façon dont M. Yayi a géré l’affaire du port sec. Me Agbo avait appelé à des poursuites pénales au-delà du limogeage ou de la suspension de fonctionnaires. Il a également affirmé que la corruption était omniprésente dans l’entourage du président Yayi et connu de ce dernier, selon des journalistes locaux et des médias.

Suite à la conférence de presse, trois des fonctionnaires mis en cause ont porté plainte pour diffamation contre Me Agbo et la directrice de Canal 3, Berthe Cakpossa, selon des médias. Le procureur a ainsi requis mercredi dernier une peine de six mois de prison avec sursis contre Mme Cakpossa  pour avoir autorisé la diffusion de déclarations jugées diffamatoires, a rapporté la Nouvelle Tribune.

« Le président Boni Yayi, la HAAC et les procureurs ne devraient pas essayer de museler un organe de presse pour son relai d’un débat sur une présumée affaire de corruption publique», a déclaré Mohamed Keita, coordonnateur du plaidoyer pour l’Afrique du CPJ basé à New York. « Nous demandons aux autorités d’annuler ces suspensions, d’abandonner les poursuites pénales et de permettre à Canal 3 de s’acquitter de son devoir qui est de servir de plateforme de discussions sur les importantes questions d’intérêt public».

Le rédacteur en chef de Canal 3, André Dossa, a qualifié la décision de la HAAC d’étrange. « C’est parce que le président leur a écrit », a dit M. Dossa au CPJ. La Cour constitutionnelle devra statuer sur  une exception d’inconstitutionnalité soulevée par les prévenus avant l’examen du fond du dossier.  La prochaine audience est prévue pour le 19 décembre prochain.

D’autres médias ont également fait des reportages sur la conférence de presse, mais seule Canal 3 a été sanctionné par la HAAC, selon des journalistes locaux. Le vice- président de la HAAC, Edouad Loko, a déclaré au CPJ que Canal 3 est la seule chaîne à avoir diffusé la conférence de presse de Me Agbo dans son intégralité, sans censurer les allégations de corruption, qu’il considère comme sans fondement. D’autres organes de presse ont fait peu état de cette conférence de presse, a-t-il souligné.

Sous L’Arbre à Palabres est suspendu du  26 novembre au 25 février 2013, tandis que la suspension des forums de discussion d’Actu Matin va du 26 novembre au 09 décembre 2012.